Dédicace sur la page de titre de l'édition originale de "Chants de mon coeur" publiée en 1939. Ces quelques lignes sont à ce jours les seules traces qui nous soient parvenues de l'écriture du poète.
Dédicace sur la page de titre de l'édition originale de "Chants de mon coeur" publiée en 1939. Ces quelques lignes sont à ce jours les seules traces qui nous soient parvenues de l'écriture du poète.
Chants de mon coeur est un recueil de poèmes de Paul Bulliard publié début 1939 et couronné par le "Grand Prix du Croquant 1939". Marcel George, professeur à l'Ecole Normale de Besançon, en a rédigé la préface.
De format 14 x 19 cm, paginé de 7 à 109, ce livre est composé de 7 cahiers cousus, imprimé à l'imprimerie de la cité sanitaire de Clairvivre (Dordogne). Il comporte des culs-de-lampe en bas de page ainsi que 3 photographies en noir & blanc, sans doute de l'auteur, intégrées au texte de certains poèmes.
Ce recueil se compose d'une page d'intention, d'une page de dédicace à sa petite soeur, de 82 poèmes (écrits entre le 4 avril 1931 et le 19 novembre1938), répartis en 9 sections ainsi que d'une table des matières.
La préface de Marcel George, professeur et ami de Paul Bulliard nous apprend indirectement que ce recueil aurait du s'appeler "Chanson envolée". Il s'attarde peu sur le style de versification du poème, mêlant formes libres mais aussi classiques mais explique qu' "une série d'événements ont fait de Paul Bulliard, très jeune encore, un poète de la douleur". Cependant, il reconnaît qu' "un invincible espoir se dégage du livre de Paul".
La première section, "Ma petite soeur" comporte 10 poèmes consacrés à sa soeur Suzanne (1920-1935) décédée de la tuberculose:
- Suzanne (6 Juin 1934)
- Réalité (6 Juin 1934)
- Devant tes jouets (3 Juillet 1935)
- Vers toi (13 Avril 1935)
- Soirée triste (26 Juillet 1935)
- Toussaint (2 Novembre 1936)
- Anémone blanche (Mars 1938)
- Longue est l'heure (8 Septembre 1936)
- Automne (28 Octobre 1937)
- Détresse (Février 1938)
Le seconde section "Enfants, adolescents" comporte 7 poèmes consacrés aux élèves du poète instituteur.
La troisième section "Rêves" comporte 6 poèmes.
La quatrième section "Musique" comporte 4 poèmes.
La cinquième section "Paysages" comporte 8 poèmes.
Illustration représentant une malade de la tuberculose sur une chaise longue en sanatorium,signée "J.Aigle" illustrant le poème "Sylvabelle" (nom de la clinique du Dr Clair à Saint-Jean-d'Aulph).
Photographie illustrant le poème "Dranse, torrent des Alpes"
La sixième section "Evocations" comporte 11 poèmes.
Photographie illustrant le poème "Poésie des cloches".
La septième section "Luttes et espoirs" comporte 16 poèmes.
La huitième section "Espagne" comporte 5 poèmes consacrés à la Guerre d'Espagne:
- Madrid (20 Novembre 1936)
- Noël des petits espagnols (21 Décembre 1936)
- Martyres (8 Juin 1937)
- Identité (19 Avril - 30 juin 1938)
- Les corbeaux sur les blés (3 Août 1938)
La neuvième et dernière section "Amertume" comporte 15 poèmes.
Il est intéressant de noter les dédicaces des poèmes de ce recueil:
- En souvenir, à mon petit élève Charles CAILLE.
- A ma petite nièce Jacqueline.
- A René MICHON.
- A mon vieux maître, M. Aristide GRAPPE.
- A mes jeunes amis Mortuassiens.
- A Serge MORISSEAU, A Jacques et Bernard BONVALOT.
- A M... V... (2 poèmes)
- A André MEYER.
- A Gaston et Madeleine ETEVENARD.
- A Georges SCHELL.
- A tous ceux de St-Jean et de Ste-Feyre.
- A ma chère petite soeur, à Pierre LANFREY.
- A Jean MAIROT.
- A Marcel AESCHLIMANN, fils.
- A Marcelle et Michel CREVAT.
- A Bernard DODANE.
- A mes chers parents, à mon frère Yvan.
- A mon cher père, qui mit en mon coeur son idéal de Justice et de Liberté.
- A Marcel GEORGE, coeur d'apôtre.
- En souvenir : à mon cousin Georges JORIOT, et à Roger VUILLEMIN.
- A Madame et Monsieur Marcel GEORGE qui aimèrent tant leur petite Anne-Marie, et ma petite soeur Suzanne.
- A G... L...
- A ma tante Anna.
- A Gaston GLORIOD.
- A M... B..
- A Henri CUENOT.
- A Gilbert MENIE.
- A mon cher frère Yvan, qu'anime le même Idéal.
- A Marcelle T...
- A Michel BINETRUY.
- A Pierre R...
- A René BOUCHER.
- A Pierre LANFREY.
- A René BOUCHER, coeur de poète et d'idéaliste.
- A ma chère maman, qui m'a veillé durant de longues nuits, qui m'a soigné avec tant d'Amour!
Quant aux poèmes suivants, ils ont été repris dans "Florilège poétique", publié en 1943 par l'Amitié par le Livre:
- Souvenir de rentrée (Morteau, Mars 1937)
- La sortie (Morteau, 1935-36)
- Dranse, torrent des Alpes (St-Jean, 22 Avril 1938)
- La bonne vieille (Morteau, Juillet 1938)
- Première neige (St-Jean, 28 Octobre 1938)
- Poésie des cloches (St-Jean, Octobre 1938)
- Lettre de maman (St-Jean, 3 Novembre 1938)
- Ma lyre (Morteau 1er Août 1936)
- Ma route (Le Mémont, le 4 Avril 1931)
- Automne (Saint-Jean, 28 Octobre 1937)
- Tendre désir (St-Jean, 30 Octobre 1937)
Poète au coeur astral, qui te mêles aux foules,
Qu'attends-tu d'un contact avec tes non-pareils?
Poète au coeur cyclone, au coeur géant qui roule,
De ton amour, tu veux créer l'homme-soleil?
Et ceux-là, qu'en fais-tu, millions, millions,
Ceux-là dont il faudrait changer la conscience:
Ouvrir cette poitrine où bas coeur de lion,
Et ce crâne où s'agite une froide démence?
Condensateur d'azur au chaud rayonnement,
Lève au ciel ton regard, prends la nuit aux étoiles,
Le flux de pureté, l'infini diamant:
Poète, voici Dieu, arrache-lui son voile!
Solitaire orgueilleux, les hommes sont tes frères,
Et la prison de chair enferme ton coeur pur:
Livre ton univers, donne leur ta lumière,
Peut-être verront-ils au travers, tout l'azur!
Publié dans "Le Sol Clair" n°2, le 1er Mai 1939
Je pourrais rouler si j'étais torrent,
Je pourrais monter si j'étais fumée,
Monter vers le ciel et dans la nuée...
J'irais à la mer, si j'étais torrent.
Je voyagerais si j'étais le vent,
De mes fiers sapins je ploierais la cime
Et je hurlerais aux sombres abîmes:
Je courberais tout, si j'étais le vent.
Je caresserais, si j'étais la brise
Et je baiserais des nuques d'enfants.
Je me griserais des cheveux bouffants,
Je serais très doux si j'étais la brise.
Je rafraîchirais si j'étais la pluie:
La terre qui brûle aurait ma fraîcheur,
Je me poserais sur des lèvres soeurs.
O j'embrasserais, si j'étais la pluie.
Je voudrais voler comme un papillon
Et je passerais ma vie éphémère
A baiser la bouche aux fleurs printanières:
J'ai le désir fou d'âtre papillon.
O, pour un matin, être la rosée
Sur l'herbe couchée et coeur contre coeur,
Monter au soleil brûlée de chaleur,
Amante de l'herbe, être la rosée!
Publié dans "Le Sol Clair" n°2, le 1er Mai 1939
Veux-tu de moi, printemps?
Me voici, je te donne
Et mon corps haletant
Et mon coeur lourd qui tonne.
Prends-moi dans ton soleil
Et dans ton herbe verte
Un amour sans pareil
Brûle mon âme offerte.
Cet amour, fais-le sève,
Et puis feuille, et puis fleur:
Une fleur belle et brève
Qu'effeuille un vent berceur.
Tu peux rythmer mon sang
Comme la sève douce:
Mon coeur, ô je le sens
frêle en l'herbe qui pousse.
Tout est beau, tout est clair
Et mon âme est étale,
En ta lumière, ô cher
Printemps... mon âme étale.
Garde-là, berce-là
Au coeur des pâquerettes
Et ne dévoile pas
Sa tranquille cachette.
Publié dans "Le Sol Clair" n°2, le 1er Mai 1939
Est-ce qu'on va cesser de nous parler de la guerre?
Est-ce que les journaux et la radiophonie
Vont hurler chaque jour la menace à la vie?
Est-ce qu'on ne va pas laisser chanter la terre?
Est-ce que va cesser le règne de l'argent
Est-ce que connaîtront toujours l'affreux tourment
Du lendemain terrible, obsédant, incertain,
Ceux que hante toujours le spectre de la faim?
Est-ce que va cesser ce lent et dur fléau
Des maladies plaquées aux corps comme une vase
Et que vont se vider les lits des hôpitaux,
Est-ce qu'on va raser les taudis à leur base?
Est-ce que va cesser cette exploitation
Honteuse et dégradante où l'homme épuise l'homme,
Est-ce que vont longtemps trembler les nations?
Ne sera-ce jamais les bouchers qu'on assomme?
Est-ce que va cesser de m'appeler l'azur?
Est-ce que vont cesser les tourments de l'amour?
Est-ce que le dégoût va vicier l'air pur?
Est-ce qu'on connaîtra la souffrance, toujours?
J'avais rêvé d'un ciel sur la planète terre
Où le coeur garderait le feu de la jeunesse,
La douceur de l'enfant et la soif des caresse:
Ce n'est pas impossible, ô crions-le, mes frères!
16 avril 1939.
Publié dans "Le Sol Clair" n°2 du 1er Mai 1939.
Traînant derrière ton talon
Le boulet de tes préjugés
A chaque pas tu dis: "Allons,
Mais... comment serai-je jugé?"
Et tu crois affranchie ta vie
Mais tu n'es pas un homme libre:
Ta table d'esclave est servie
Ton boulet est d'un beau calibre!
La chaîne du qu'en dira-t-on,
Lourde, aux maillons nombreux, serrés,
Faite de traités, de dictons,
Elle te tient bien enserré!
Réveille-toi, allons secoue
Ce joug de la morale austère
Dont chaque hypocrite s'engoue!
Et ta pensée, pourquoi la taire?
O frère épris de Liberté,
Commence donc par t'affranchir
D'une éternelle puberté:
Montre-toi nu pour te blanchir!
Publié dans "Le Sol Clair" n°2, le 1er Mai 1939
O mon Dieu rendez-moi mon petit coeur d'enfant,
Ce coeur vierge d'amour, d'élan et de tendresse,
Vierge de souvenirs et de toute détresse
Que n'a pas défloré le désir étouffant.
O mon Dieu vous savez que mon coeur est bouffant
De sombre désespoir, avide de caresse,
Qu'il adore toujours l'impossible déesse
D'un amour exclusif et jaloux, qui le fend.
O mon Dieu s'il m'arrive parfois de prier
Simplement - seul toujours - votre miséricorde,
C'est que l'enfant qui souffre a besoin de crier...
C'est donc qu'il reste encor en ce coeur une corde
Avide de Beauté, d'entière Pureté,
Et que n'a pas pu briser, Destin, ta dureté!
Publié dans "Le Sol Clair" n°2, le 1er Mai 1939
« Les vers du poète offrent aux hommes
les significations qui leur plaisent. »
(R.TAGORE)
La clarté lunaire
De l’écran,
Blafardement éclaire
Deux grands tabliers blancs.
Et le métal, les électrons
Qui dansent une sarabande,
Pour que les malades attendent
Leur fredonnent une chanson.
Les rayons traversent les corps,
Traduisent sur un simple verre…
La science de l’homme éclaire
En image les désaccords…
Si vous pouviez voir en mon cœur :
Cime, abîme, ruisseaux de pleurs,
Ses océans et ses pirogues !
O vous, les savants radiologues…
Saint-Jean-d’Aulph, 30-12-1938.
Poème extrait de "Chacun sa croix", 1940.
Ce matin j'ai cueilli, dans la douce rosée
La pervenche d'azur en un coin d'ombre frais:
J'ai cru que ton regard, quand ma main s'est posée
- Regard limpide en l'herbe humide - m'appelait.
Et je suis revenu portant dans ce bouquet
Tes yeux adolescents, cette fleur de toi-même
Qui reflète un troublant infini, et que j'aime...
Ô les cieux, le printemps, des yeux dans un bouquet!
J'ai placé dans un vase, auprès de ton portrait
La pervenche d'azur qui te donnait sa vie,
Et le bleu de la fleur, à la photographie
Passa : ton regard cher lentement s'éclairait...
Aujourd'hui je t'attends: et j'ai le tendre espoir
Que tu viendras enfin et que je pourrai voir
Plus profond, plus subtil, plus beau que la pervenche,
Ton regard doux et bleu, où ton âme se penche.
St-Jean d'Aulph, 21 avril 1939.
Poème extrait de "La Chanson simple", Le Sol Clair éditeur, 1946.